Télétravail : paradis ou enfer ?

Tout le monde veut changer le monde, mais personne ne songe à se changer soi-même - Léon Tolstoï

Télétravail : paradis ou enfer ?

(Photo by Matthias Zeitler on Pixabay)

Articles, reportages et témoignages regorgent de cette nouvelle normalité, de cet avatar de la Covid-19 destiné à survivre à l’épidémie : le télétravail.

Les avantages apparents sont nombreux : gain de temps, en particulier dans les grandes villes, responsabilisation des salariés, nouvelle flexibilité dans l’organisation de sa journée, contacts familiaux retrouvés. Par ricochet, d’autres pistes a priori positives pour l’entreprise sont en réflexion :

  • Si la moitié des salariés sont en télétravail chaque jour, pourquoi ne pas réduire les coûts, c’est à dire les postes de travail (et donc la surface louée) de moitié ?
  • Ensuite, pourquoi ne pas généraliser aux salles de réunion, à la cantine, aux places de parking ?
  • En élargissant le processus, imaginons des salariés dispersés aux quatre coins de la France, dans des lieux où les logements sont moins chers et la qualité de vie meilleure…

Quelques voix s’élèvent pourtant sur les versants plus négatifs du télétravail, pour les salariés comme pour les entreprises. Cet été, j’ai donc passé un peu de temps à discuter à tête reposée avec des salariés, des managers, des chefs d’entreprise, des médecins, des chercheurs, des coachs et des observateurs avertis. Je partage ici les quatre points saillants de ces échanges.

#1 – Enjeux du télétravail

Dans les entreprises, les enjeux liés au télétravail se décomposent en quatre catégories:

  • Sanitaire. C’est la raison première du développement du télétravail en 2020. Le déconfinement et l’introduction à terme d’un vaccin est censé mener à une diminution du recours au télétravail, mais peu nombreux sont ceux qui envisagent un retour au métro-boulot-dodo d’avant.
  • Informatique et réseaux. Dans le tertiaire, l’informatique et Internet ne sont pas des options. Suivant les entreprises, le curseur professionnel / personnel a troublé les lignes. Qui fournit les ordinateurs (c’est variable), le Wifi (presque toujours le salarié), les logiciels (pour les logiciels spécialisés : l’entreprise ; pour la bureautique, cela dépend). A titre d’exemple, quid du rapport rédigé sur un ordinateur partagé en famille avec un Microsoft Word non référencé ?
  • Sécurité. La dispersion des données dans des espaces moins sécurisés que les locaux habituels génère un risque accru de hacking, de vols d’informations confidentielles et de problèmes dans les paiements. Par ricochet, les procédures mises en places pour limiter ces risques alourdissent les organisations et créent des interlocuteurs multiples pour les clients, avec leur cortège de dysfonctionnements et d’agacements.
  • Humain. Managers et salarié ont appris “sur le tas”, avec des disparités fortes entre entreprises, services et équipes. C’est sans doute la catégorie pour laquelle les efforts ont été les moins soutenus, car considérée comme la moins cruciale par rapport aux aspects sanitaire, informatique et de sécurité.

#2 – Du point de vue du salarié

Une fois la poussière de l’exceptionnel retombée, quel est le bilan pour les salariés ?

Les avantages cités au début de cet article sont très présents pour certains, moins pour d’autres. Qu’en est-il des inconvénients ?

  • L’obligation de se créer une zone de travail est quelquefois un vrai défi, en particulier en appartement. Place limitée, bruit du reste de la famille, enfants à domicile pendant le confinement sont autant d’obstacles à la stabilité de ce cocon professionnel. Pour les parents isolés ou les couples en télétravail, les obstacles deviennent vite insurmontables.
  • Le brouillage des frontières entre sphères professionnelle et privée s’est encore accentuée, au-delà des messages et sollicitations professionnels en soirée ou pendant les vacances.
  • Le gain de temps dans le transport est parfois phagocyté par le travail supplémentaire induit par l’organisation en télétravail ou le chômage à temps partiel d’une partie de l’entreprise.
  • La diminution voire la perte du contact social est un élément ressenti avec une acuité très différente selon les individus ; pour certains, elle est très difficile à vivre.
  • Le stress liée aux difficultés économiques de son entreprise ou à la pression à distance de son management est un sujet en hausse dans les consultations médicales et dans les demandes de coaching.

#3 – Du point de vue de l’entreprise

  • Les tensions entre collègues ou entre managers et collaborateur se sont accentuées à cause de la distance. Alors qu’une discussion autour d’un café aurait dissipé sans peine un malentendu, la floraison d’un mail rédigé un peu vite ou d’une remarque ambiguë débouche parfois sur des situations de tension forte, voire de conflit. Elles sont d’autant plus difficiles à résoudre qu’elles apparaissent tardivement et que Zoom ne facilite pas la résolution des blocages de communication.
  • L’implication des collaborateurs est très hétérogène : la majorité joue le jeu ; certains se sur-investisssent (et s’épuisent) ; d’autres réduisent fortement leur temps de travail. Ces différences entraînent parfois des frictions au sein des équipes où certains ont l’impression (à tort ou à raison) de “travailler pour les autres”.
  • Les managers intermédiaires ont le mauvais rôle : s’ils se concentrent sur l’opérationnel, on leur reproche de délaisser l’encadrement ; s’il appellent ou envoient trop de mails à leurs collaborateurs, ils passent pour des tyrans. Il n’est guère étonnant que beaucoup d’entre eux aient le blues
  • La diminution potentielle des coûts grâce une fraction de l’entreprise en télétravail à tour de rôle signifierait que les moments où tout le monde est présent simultanément disparaîtraient. La cohésion de groupe peut devenir une victime collatérale de ces rotations, sans parler des jeux de réseaux où certains jours auront plus de “valeur politique” que d’autres, par exemple lorsque que les personnes clés de l’entreprise sont présentes.

#4 – Processus mis en place

Sur le plan des relations humaines, peu nombreux sont les salariés qui estiment que des règles claires ont été définies. Le fonctionnement en télétravail est souvent un copier / coller des organisations précédentes en présentiel, alors que la situation est complètement différente. Quelques entreprises ont pris des initiatives louables pour s’adapter à cette nouvelle normalité :

  • Sauf urgence, le respect d’un silence radio sur les mails entre la fin de soirée et le début de matinée.
  • La création de moments de dialogue réguliers (et non des appels uniquement en cas de problème).
  • Une limitation du nombre de réunions à plus de six personnes.
  • Une redéfinition claire du rôle des managers intermédiaires.

Et donc ?

Discuter et dresser un état des lieux est bien. Essayer d’apporter des solutions est mieux.

J’ai développé deux parcours : un pour les PME et les “petites” ETI, l’autre pour les grandes entreprises. Dans les deux cas, ce parcours concerne les entreprises à forte valeur ajoutée intellectuelle qui ont poursuivi, au moins partiellement, leur activité pendant le confinement. Il inclut :

  • Des fiches et des vidéos de bonne pratique dans un environnement où le télétravail est présent (choisi ou subi) : organisation du temps, répartition des tâches et délégation, processus de validation lorsque les acteurs sont multiples, organisation des réunions en visio, évaluations de fin d’année…
  • Des accompagnements ciblés visant à résoudre les noeuds de tension propres à chaque entreprise.

L’objectif est de créer un cadre au sein duquel (i) les interactions sont fluides, (ii) l’organisation individuelle et collective est orientée résultats d’une manière pérenne, (iii) la communication manager / collaborateur et entre pairs s’effectue sans blocage ni rupture. Je sais que la période actuelle a multiplié les priorités et que certains d’entre vous se demandent peut-être s’ils ont du temps et des moyens à consacrer aux aspects humains du télétravail dans leur entreprise.

La véritable question est de savoir s’ils ont la possibilité de ne pas le faire….